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Jacques Louvain, peut-être

par Dominique Boudou, carnets, extraits, en-cours etc.

28 juillet 2012 6 28 /07 /juillet /2012 11:09

La lumière est douce, venue du puits de jour. Elle monte comme un lierre s'accouder à la fenêtre, hésite autour de la table où l'ordinateur a des palpitations de vieux drap. Un grand silence recouvre tout dans le bureau où Jane écrit. Une gravure au mur s'efface lentement. Les crayons et les stylos en vrac dans un pot minuscule disparaissent un à un. Seuls les doigts de Jane sur le clavier gardent encore quelque présence au bord du vide. Elle écrit qu'elle veut flâner avec un homme. Elle ne précise pas où. Elle ne dit pas comment. Flâner. Seulement cela. Pour dissoudre peut-être, mais à l'inexorable façon d'un morceau de sucre, une lassitude ancienne déjà. Qui prenait trop souvent la teinte grise des vagues mélancolies. Jane relit sa phrase : " Je veux flâner avec un homme. " Elle sourit et soupire. Le début d'un roman pourrait naître à bas bruit. Il n'y aurait en lui aucun tumulte car il se tiendrait toujours à la lisière de l'absence. Jane sourit encore, tortille la mêche qui court sur son épaule blanche. La rumeur de la ville revient peu à peu dans le bureau. Un enfant de dix ans joue sur la gravure. Un stylo tombé du pot roule sous un fauteuil. Flâner écrit-elle. Aller sans savoir ce qui tient la marche dans le corps et dans l'esprit. La nuit, bientôt, s'allongera sur l'écran.

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1 juillet 2012 7 01 /07 /juillet /2012 11:21

Toujours, en juillet, une sourde mélancolie me prend. Je n'aime pas le soleil de ce mois clair. Sa découpe est trop nette, sa résonance trop vibrante. Je fuis tout autant les faux silences qui rampent dans les rues. Qui portent le soupçon au coeur de l'air à la peine. Les ombres mêmes ne sont plus le bon refuge pour vagabonder. J'ai la tentation du long sommeil des ours. Approvisionner le dédale des rêves jusqu'à la fin d'août. Mais la vie garde en moi le goût des plaisirs. Le partage des mots autour d'un vin de pays, les souvenirs qu'on recompose à la table des amis desserrent un peu l'étau de la poitrine. On oublie un temps les coups de rabot que la maladie porte à l'être aimé, la vieillesse qui ne va pas toute seule d'un frère ou d'un poteau de quarante ans. On se dit qu'on peut encore tenir le pire à distance et qu'un petit voyage fera du bien, forcément, puisqu'on marche droit sur ses jambes. Et si on marche on saura penser, dans le mouvement uni des pas et des idées. La rondeur du soleil on ne s'en souciera plus car on aura, alors, la volonté de toutes les métaphores.

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17 juin 2012 7 17 /06 /juin /2012 12:19

(off)

 

Je me souviens d'avoir tenu la pose entre Sancho Panza et Don Quijote devant la maison natale de Miguel de Cervantes, sur un banc de pierre. Une pluie fine et pénétrante, llovizna, s'apprêtait au-dessus de nos têtes. Le ciel d'Alcalá de Henares était décidément trop lourd. Je ne me souviens pas, en revanche, de la maison de l'écrivain. Oserai-je dire que ces demeures se ressemblent toutes malgré leurs particularités ? Et qu'on s'y ennuie ? Partout d'identiques enfilades de livres sous clé, llave. Un guide, souvent étudiant condamné à des mini jobs, montre avec plus ou moins de lassitude le bureau reconstitué de l'écrivain, la chambre reconstituée de l'écrivain, et la cuisine aussi, où des cuivres soit disant d'époque jettent quelques feux faiblards. Après la visite, manquant cruellement de tabac, j'ai arpenté plusieurs rues en rasant les murs pour acheter ma drogue quotidienne. Je me suis mouillé car je n'avais pas de parapluie. Ce n'est pas que j'en garde une mémoire nette. Le paysage de ces rues espagnoles pourrait être transplanté dans n'importe quel quartier de Bordeaux. Mais, plusieurs années ayant passé, je m'étonne encore de ce que fut ce déplacement de la banalité, qui la rendait étrange, extra˜na. Bien sûr, j'ai dû pour ne pas me perdre repérer des noms sur des plaques, des vitrines de magasins. J'ai cherché, oui, probablement, quelques détails insolites sur des fenêtres ou des balcons. Cependant, je n'obéissais pas seulement à la nécessité de retrouver mon chemin. C'est qu'un paysage, si ordinaire soit-il, recèle toujours son petit mystère du fait même qu'il est ailleurs. Alors, presque à son insu, l'arpenteur des dédales urbains devient vaguement quelqu'un d'autre, mais qui restera dans ce flou, imperméable à toute raison. La raison, je l'ai retrouvée quand, plus trempé qu'une soupe, j'ai dû me réfugier dans une encoignure pour allumer ma première cigarette de la journée alors que midi allait sonner. J'ai tiré une longue, très longue bouffée, j'en ai rejeté loin, très loin l'enivrante fumée et, levant au ciel mes yeux ravis, j'ai aperçu des cigognes, ciguë˜nas, juchées sur les hauts arbres, dans des nids grands comme des berceaux. Il y a des cigognes à Alcalá de Henares. Il n'y en a pas à Bordeaux. Et voilà qui m'étonne davantage. Elles feraient belle figure tout au sommet des platanes de la place Saint-Christoly. Leur vol, si ample, serait photographié par les touristes du monde entier et on imprimerait même des cartes postales. Un esprit plus rationnel que le mien objecterait que si nous n'avons pas de cigognes nous avons en revanche des mouettes, gaviotas, sur les bassins à flot. Une telle remarque ne saurait m'intéresser. Elle manque trop de mouvement. Je préfère imaginer le bal des cigognes entre les deux ville et, pourquoi pas, il y aurait un bébé abandonné dans un de leurs nids.

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2 juin 2012 6 02 /06 /juin /2012 11:46

(off)

 

A Saint-Pétersbourg, le tram est rouge et blanc. Plus anguleux qu'un parallélépipède. on pourrait le poser comme serre-livres dans une bibliothèque et il serait du voyage avec les mots. Sur l'île de Vasilivskiy Ostrov, bien que le terrain soit plat, il ressemble à une espèce de funiculaire fantomatique. Les rues sont si larges, si peu encombrées que sa disparition passerait inaperçue. La vie, ici, en ce moment, ne se montre pas. La vidéo que je regarde, son coupé, a peut-être été prise un dimanche vers midi, sous le soleil. Je devine quelques promeneurs en polo et lunettes noires. Je distingue un jeune couple avec une poussette. Un bus entièrement bleu mais vide m'étonne. Où sommes-nous vraiment ? Quelle est la destination du tram ? Si j'ignore les rares enseignes en cyrillique sur lesquelles le film s'attarde à dessein, je peux me croire dans tel ou tel tronçon de la rue Achard. Mêmes immeubles austères des années mille neuf cent trente. Mêmes portes d'entrée lépreuses. Mêmes ombres rachitiques embusquées dans les embrasures. Un arrêt sur image bien choisi et l'illusion serait presque parfaite. Il suffirait d'en décalquer les contours et de les transposer n'importe où, n'importe quand. Le but ne serait pas de démontrer je ne sais quelle théorie générale mais de découvrir une découpe identique du paysage, de préférence aux antipodes, pour éprouver l'ivresse de l'incompréhension. Un original persévérant, ayant beaucoup de temps à tuer, pourrait s'y essayer. Il n'aurait même pas à se déplacer. Avec un ordinateur et une organisation méthodique, l'aventure est viable. Internet fourmille de vidéos qui montrent toutes sortes d'espaces dans toutes sortes de lieux habités ou non. Tout original que soit notre quidam, il se satisferait des relevés les plus approchants, qu'ils aurait notés avec une précision quasi atomique sur du papier millimétré. Après les ultimes vérifications d'usage, il se rendrait sur place. Une vingtaine d'heures d'avion pendant lesquelles ses pensées, de conjecture en conjecture, finiraient par s'égarer. Un autre bus entièrement bleu traverse la vidéo. Un homme qui porte un sac attaché à sa ceinture court sur un trottoir. Puis il revient sur ses pas, s'éponge le front d'un revers de main. Est-il de Saint-Pétersbourg ? Est-ce plutôt un touriste perdu ? J'arrête le défilement de l'image et je l'agrandis. Cet homme a des cheveux gris au niveau des tempes. De chaque côté de son nez, une ride dessine un accent sur sa peau. Je reste quelques minutes à observer ce visage que l'âge commence à défaire. J'éteins brusquement l'ordinateur.

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30 mai 2012 3 30 /05 /mai /2012 17:30

On ne le dira jamais assez : la rue, les boutiques, les places et leurs bancs sont d'inépuisables mines pour nourrir n'importe quelle écriture. Il faut garder les yeux en alerte mais aussi ouvrir les oreilles. Les conversations saisies au vol mériteraient une anthologie à crû dont la sincérité, la générosité rendraient bien fade les brèves de comptoir inventées au kilomètre.

Voici l'une de ces conversations que je viens d'entendre à la boulangerie de mon quartier. La serveuse vient d'encaisser un billet de cinq cents euros et, très nature, fait part de son émotion à sa collègue affairée dans la remise :

- C'est la première fois que j'en vois un. Et le mec il en avait d'autres, tu peux me croire. Eh ben ! ça fait mal au ventre !

J'ai souri. Je n'ai moi-même jamais vu, au grand jamais, de billets de cinq cents euros. Puis j'ai pensé à une réplique que j'aurais aimé adresser à la serveuse sous le choc.

- Vous auriez eu mal au ventre si le mec vous en avait donné un, de billet. Vous l'auriez tout de go transformé en gâteaux, en crèmes au chocolat, en tartes multi-fruits, en omelettes norvégiennes ou finlandaises, en poires Belle-Hélène et autres Banana Split qui auraient occasionné à votre estomac tant de hoquets, tant de ballonnements qu'un inconfort durable s'en serait suivi d'une hospitalisation pour hyper glycémie. Croyez-moi, mademoiselle, vous venez d'échapper au pire. Restez pauvre, c'est moins dangereux !

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13 mai 2012 7 13 /05 /mai /2012 14:14

(Ce texte n'est pas sorti dans la revue Borborygmes qui avait lancé un concours sur le temps je ne sais plus quand. A la relecture, je le trouve cependant convenable, c'est déjà ça. )

 

I

Le temps est derrière moi

Grand-mère aux dents vertes

Qui chantait sa complainte aux bords du sommeil

Je presse le pas

Sous l'aiguillon des souvenirs

Qui tiennent encore contre la brume

Je sens sur ma nuque

Le souffle des enfances inventées

Une horloge pourrait sonner là dans la marche

Une maison naîtrait aussi

Avec un père et une mère

Accordés au pain du jour

Un volet battrait la mesure

D'une attente sans nom

Mais comment me retourner

Sur ce qui n'a pas de visage

 

II

Le temps perd en moi

Le grain des instants

Mon chemin ne trouve plus son chemin

Je regarde la ville suspendue à mes paupières

Avant la sirène de midi

Des lumières improbables

Y jettent des signes mouillés

Ils n'ont pas de rumeur sous mes semelles

Quand la marche s'évanouit

Dans la fatigue

Je cherche à saisir les minutes

Qui vont avec le sang

Qu'elles portent encore un peu

Ce qui me reste de conscience

Il faudrait courir et abolir la chute

Devenir vol d'oiseau ou de papillon

Mordre à pleines dents

Un bout d'éternité

 

III

Le temps est devant moi

Dans un corps qui n'a plus ses lieux sûrs

Ligne sans replis où étouffer l'attente

Le sang à découvert du sang

Et battre une vaine mesure

Qui invente encore mon chemin

J'entends que me reviennent

Les chansons vertes de l'enfance

Et le tintement sombre des pendules

Dans la fièvre endormie

Ma peau prend le vieux grain

Des vieilles heures

Toute une mémoire à porter debout

Jusqu'au silence

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12 mai 2012 6 12 /05 /mai /2012 12:38

Un village assoupi au coeur de l'été en terre d'Aunis. Une rivière y serpente. La Boëme. Un nom comme une promesse de voyage au ralenti. Sur l'eau qui a verdi entre les vieux lavoirs, on imagine sans surprise des cygnes dont le cou démesuré se plie et se déplie à la façon d'un accordéon. A l'orée du bourg, une bâtisse qu'on a rénovée abrite un centre culturel. Antoine, peintre de la contrée, y donne une exposition. Il est un peu tendu pendant le vernissage arrosé de vins bourrus. Isabelle, l'organisatrice, est aussi tendue que lui. Viendra-t-il du monde ? La localière de La Charente libre écrira-t-elle un article ? Chantal, qui aime la lenteur du pays, passe de toile en toile. Gobe ici et là quelques charcuteries posées sur pain bio-c'est la mode. Bien. Oui. Soit. C'est qu'il y en a tant des expos dans les villages au plus fort de l'été. Elle s'apprête à sortir mais l'organisatrice l'interpelle.

Quel tableau tu préfères ?

Chantal n'hésite pas, rebrousse chemin, se campe devant sa toile coup de coeur. Deux gosses de la campagne qui encadrent un ours debout. Un ours grand et debout.

Il y a un enfant mort. C'est sûr. Je le sens. Là.

Plus tard dans la soirée, Isabelle fait part au peintre du commentaire de Chantal. Il dit qu'il a deux frères mais ils sont bien vivants. En bonne santé. Il rigole. Il a peut-être un peu trop bu. Il regarde son tableau en imaginant un enfant mort, n'y parvient guère, se met à scruter le moindre détail qui pourrait laisser croire que. Il hausse les épaules, engloutit quelques toasts, et c'est déjà l'heure de la fermeture. Dernières congratulations. Embrassades. La localière a promis un papier, photo à l'appui si le rédac chef veut bien. Antoine est content. Et s'il vend une ou deux toiles, il fera changer l'embrayage de sa voiture.

Bientôt huit heures. L'église va sonner. Un train de marchandises va passer sur l'ancienne voie juste après le pont. Antoine a promis d'aller manger chez ses parents qui n'ont pas pu se déplacer. Il roule en sifflotant. Regarde les vieilles pierres grises des vieilles fermes transformées en résidences secondaires. Se dit que son embrayage peut tenir encore un an et qu'un cadeau à sa copine serait plus approprié.

Il est d'excellente humeur quand il met les pieds sous la table dans la maison de son enfance. Ses parents sont presque jeunes encore. La mère a préparé un rôti de porc farci aux olives et le père, qui ne devrait plus boire que de l'eau, a ouvert un Bordeaux 2004. 

Alors ? C'était bien ?

Oui. Oui. 

Puis Antoine se trouble. Jette un oeil inquiet aux photos de famille sur le buffet. Lui et ses deux frères dans toutes les positions de l'enfance. Premiers pas en barboteuse. Premiers cartables, premiers vélos. Sourires de façade.

Une visiteuse a dit qu'il y avait un enfant mort dans la famille. 

Pardon ?

Antoine répète, précise que c'est le tableau où il y a l'ours qui a inspiré le commentaire. Le père pose sa fourchette dans son assiette et devient tout blanc. La mère pique du nez sur son mouchoir. Même les photos du buffet font une drôle de tête. Cinq secondes de silence. Quinze années de plomb contenues dans ce silence. La poitrine de la mère est prise dans la houle d'inextinguibles sanglots. Le père se sert un plein verre de vin.

On te doit des explications. On voulait te dire et on remettait toujours à plus tard. C'est comme ça que les secrets pèsent et empoisonnent. Un accident est si vite arrivé. On s'en est jamais remis, ta mère et moi.

 

(Histoire vraie)

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1 mai 2012 2 01 /05 /mai /2012 10:51

Une rue un caniveau

Quelque chose bat

Dans l'eau immobile

Ma peau déjà pressent une chimère

La lumière couche la rue

D'un gris sans grain

Qui pourrait m'échapper

Le trottoir frissonne avec ma peur

La chose est un chiffon rien d'autre

Epointé comme une aile

Et le vent le change en oiseau

 

*

 

Un enfant de l'autre côté

Qui n'a rien vu

Promène son insouciance

Dans ses jambes

La lumière est moins basse

 

*

 

S'approcher enfin de la chose qui bat

Constater un pigeon

La mort le façonne encore

Fait de ses plumes un tissu mou

Relever de toute urgence

Les yeux vers l'enfant

Qui a tourné


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26 avril 2012 4 26 /04 /avril /2012 12:36

Depuis une quinzaine de jours, je fais souvent des aller-retour au Japon. A Tôkyô ou à Manazuru, une station balnéaire que le tourisme de masse n'a pas encore défigurée. Il y a là comme une pension de famille depuis laquelle on entend la mer sans avoir à prêter l'oreille. Le tenancier est un rien bougon mais sa cuisine est bonne. Quoi demander de plus. De toute façon, j'aime le Japon. Je l'aime tellement que, de nouveau à Bordeaux, je regarde les femmes de type asiatique. Je ne fais pas la différence entre les Japonaises et les Chinoises, les Chinoises et les Coréennes. Qu'importe ! Je les décrète toutes japonaises. Je suis alors surpris de constater que certaines d'entre elles sont grosses. Bien ancrées dans le sol. Comment une terre dont les habitants se demandent si souvent si elle existe réellement peut-elle engendrer des gros ? Est-ce que ces gros éprouvent le même sentiment d'irréalité au coeur du réel ? Bon, je sais. Ce qui traverse l'esprit des gens n'est pas en proportion avec leur taille. N'empêche. J'aime me poser des questions idiotes. Ce n'est pas Hiromi Kawakami qui me contredira. Elle en raffole aussi. Nous allons ensemble à Manazuru. Nous nous promenons sur la plage. Nous écoutons la houle gronder quand elle se fracasse sur des rochers. Nous parlons beaucoup. Elle croit qu'un jour le Japon tout entier basculera dans l'océan. Seulement lui, le Japon. Quand je lui demande de s'expliquer, elle me répond qu'il n'y a rien à expliquer, démontrer. Elle dit que la réalité est une corde sur laquelle nous nous tenons en équilibre. Parfois, la corde se détresse un peu et nous faisons un pas de côté dans un inter-monde. Plus rarement, la corde casse carrément et le réel subit une éventration. Une éventration ? dis-je. Oui oui, et il n'y a pas de chirurgien pour recoudre les bords. Nous rentrons à la pension de famille. Nous buvons trois ou quatre coupes de saké à la suite en picorant des encornets. Le soir en tombant a une légèreté qui me subjugue. Hiromi a le feu aux joues. Le saké la rend volubile. Elle m'entretient de sa vie à Tôkyô. Son travail d'écrivain. Son mari qui a disparu voilà dix ans. Sa fille Tomoko, adolescente impertinente insouciante inconséquente. J'écoute Hiromi avec une tendresse particulière. Le saké m'émeut moi aussi, tiens. J'aurais bien envie de laisser glisser ma main entre les coupes sur la table. Hiromi ne retirerait pas la sienne. Elle m'aime bien je crois. Mais un doute me taraude. Depuis que je fais ces aller-retour au Japon, je ne suis pas certain d'être moi-même. Dans la glace de la salle de bain, j'ai l'impression que mon visage est celui d'un autre et que je pourrais le décoller avec la pointe d'un couteau. C'est pareil pour ma main. Est-elle bien la mienne lorsque je veux l'approcher de celle d'Hiromi ? 

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19 avril 2012 4 19 /04 /avril /2012 13:31

Une bicyclette hors d'âge

Contre un mur dans un jardin

Image de carte postale

Revenue avec ma fatigue

Des flambées de capucines

En tortillaient le cadre

Faisaient claquer la lumière de mars

Sur le guidon rouillé

Mais le chien du voisin

Aboyait son ennui 

De l'autre côté du mur

Déchirait déjà

La perspective du souvenir

 

*

 

Poser de toute urgence

Une méchante boîte de coca

Sur la bicyclette transformée

En vélo

 

*

 

Se méfier de toutes ces enfances

Qu'on aura repeintes

Un soir de petite joie

Garder en soi l'ennui du chien

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