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Jacques Louvain, peut-être

par Dominique Boudou, carnets, extraits, en-cours etc.

12 février 2013 2 12 /02 /février /2013 13:57

Tu te souviens des lapreuils bondissants que nous avons inventés. Une histoire d'enfants de trois ans pour tenir avec le monde qui nous tombait des mains.

*

Encore un landau dans le crissement des feuilles tombées. Son empreinte aussitôt disparue à nos yeux. Une mère. Un enfant. Pour un peu de lait ou un peu d'eau au bout du repos, avec les regard des saules et des oiseaux. Nous n'entrons pas dans la composition de cette lenteur. Qui nous dissout.

*

Un rêve de guerre traque tes yeux battus quand tu te réveilles. Ses ombres épuisent tes jambes dans la tourbe du jardin et le café prend le goût des dents creuses. Aucun soldat n'y chancelle au bord du vide. Aucune mitraille dont tu pourrais te saisir pour continuer le jour avec nos mots. Le ciel reste debout par-dessus les toits, dans un soleil plat. Seule une rumeur sourd et mes mains coupées la laissent gronder en tes plaies. C'est la mort qui étouffe un cri, là où ton ventre ne saignera plus jamais.

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5 février 2013 2 05 /02 /février /2013 13:07

Ton cerveau maigrit. La peur te prend dans ce manque de coulures invisibles. Tu vois l'évidement de tes bras et de tes jambes, tu caresses les grains sur ta peau devenue sèche d'avoir trop pleuré. Mais comment mesurer au jour le jour ce que la mort arrache à ta mémoire ? Dans combien de temps l'éther où tes souvenirs n'auront plus d'apparence ? Il nous faudra marcher encore et encore, avec nos paraboles de neige et de sable, avec ce que nous mettons au coeur de nos lisières, pour toucher de nos corps l'horizon du chemin.

*

Plus tard, quand de mauvais regrets détourneront nos pensées calmes, nous relirons ces mots qui nous ont tracés. Nos corps plus longs à suivre les heures n'en reconnaîtront pas toute la mémoire. Nous dirons que quelqu'un d'autre, à qui la langue aura échappé comme elle nous échappe, aurait pu les écrire à notre place, courbé sur des jours trop vides. La rondeur d'un bol bleu et d'un fruit sur un coin de table rassemblera alors nos vieux vertiges. Et nous nous coucherons dans ce que nous savons de notre fatigue, en lisière des nuits où les visages sont sans visage.

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5 février 2013 2 05 /02 /février /2013 10:49

Je retrouve trois volumes de la collection écrivains de toujours que publiait le Seuil. Elle a marqué mon jeune âge comme les livres carrés de Seghers, Poètes d'aujourd'hui

 

C'était l'époque où j'essayais de comprendre la pensée de Georges Bataille. La seule expression de "part maudite" éveillait des échos qui dépassaient mon corps. Mais où s'en allaient-ils donc faire résonner mes émois ?

 

Le Stendhal aussi, acheté la même année. Je ne suis pas certain de l'avoir lu. 

 

Et enfin le Kafka. Je retrouve à l'intérieur une carte postale qui représente Marguerite Duras. Elle fume. Le grésil de la cigarette se rapproche dangereusement de ses doigts. Comme si l'écrivain était parti de lui-même et qu'il n'y reviendrait jamais. 

 

Kafka, qu'on a souvent dépeint comme un grand mélancolique, ne manquait pas, dit-on, d'humour. Sans doute aurait-il apprécié le canular littéraire du Seuil qui publia une monographie de Ronceraille pour le centième numéro de sa collection.

 

Ronceraille ? Ah ! oui. En effet ! Un auteur atypique injustement tombé dans l'oubli. Je me souviens. Je me souviens.

 

Le premier quidam qui me tient ce propos, mes yeux le revolvérisent.

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4 février 2013 1 04 /02 /février /2013 16:03

Je ne fais pas la différence entre le corps de nos bibliothèques et mon corps physique. Foutoir partout des viscères. La gangrène des livres comme le pourrissement de la peau. Tout à jeter.

 

Je me souviens, j'avais dix-sept ans, fiévreux déjà, tous mes livres étaient passés par la fenêtre. La boue des ornières les avait recueillis. Vaine révolte. 

 

Aujourd'hui résigné, vaincu par tous les moisissures mais serein, je m'empare d'un chiffon électrostatique et d'un vaporisateur dont le détergent se pare de lavande. J'époussette. Je frotte. Je sépare les bonnes cellules des mauvaises. Je reconstitue les corps éparpillés qui se rebiffent. 

 

J'impose à Pierre Sansot le voisinage de Deleuze alors qu'ils ne se sont jamais parlé. Pensez donc ! Un gitan et un aristocrate ! Mais voilà qu'un poète arrive surgi d'entre deux polars médiévaux, talonné par Les nouveaux chiens de garde d'Halimi.

 

Je renonce. Je regarde sur le plancher tous les déchets que la bibliothèque a produits depuis dix ans que nous sommes là, dans cette maison qui craque : vase soliflore, hibou de terre cuite, portemanteau, billes, petits carnets demeurés blancs, capuchons de stylo, cure-dents, prise femelle, coupons de soie ou de satin, broche à un euro, post-it, fêve de l'épiphanie, images de dragonballZ, cordon de téléphone, mini cadre pour mini photo...

 

Tout jeter. Il y a encore de la place dans la poubelle. Y mettre aussi cet essai trapu sur Simone de Beauvoir, que je n'ai pas lu, que je n'y lirai jamais. Y glisser aussi ce Coelho, qu'est-ce qu'il fout là, lui c'est sûr il va y passer, et puis et puis.

 

En tassant bien de toutes mes forces, il restera une petite place pour moi.

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31 janvier 2013 4 31 /01 /janvier /2013 11:52

Mais que faisait donc la dernière livraison de Marguerite Duras, C'est tout, parmi les Vargas-Mankell-Simenon-Parot eux-mêmes entremêlés au fatras des philosophes que je m'évertue encore, tenace, à essayer de comprendre ?

Je me souviens très bien du moment où j'ai acheté ce livre, un matin chagrin d'octobre 1995 au salon du livre de Bordeaux qui se tenait alors au hangar 5. 

Je me souviens qu'à picorer çà et là quelques mots, j'ai eu les larmes aux yeux. J'avais quarante ans, je venais de publier mon premier livre, et j'aurais pu être heureux.

Sans doute, la veille au soir, m'étais-je adonné plus que de raison à du vin trop pisseux.

Aujourd'hui, mon émotion est intacte à relire les derniers mots de la Marguerite, aussi magnifique que tyrannique :

Caressez-moi.

Venez dans mon visage avec moi.

Vite, venez.

*

Je suis un bout de bois blanc.

Et vous aussi.

D'une autre couleur.

*

Je ne peux plus du tout tenir.

Je ne crois pas qu'on puisse nommer cette peur.

Pas encore.

Donne-moi ta bouche. 

Viens vite pour aller plus vite.

Vite.

c'est tout.

vite.

*

Je crois que c'est terminé. Que ma vie c'est fini.

Je ne suis plus rien.

Je suis devenue complètement effrayante.

Je ne tiens plus ensemble.

Viens vite.

Je n'ai plus de bouche, plus de visage.

 


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30 janvier 2013 3 30 /01 /janvier /2013 14:11

Après la bibliothèque du rez-de-chaussée, à nous deux celles de l'étage. Il y règne un fouillis encore plus indescriptible et je ne sais pas comment faire, d'autant que ma fatigue limite mon champ d'opération. Le rêve d'une bibliothèque idéale contenant au plus quatre ou cinq cents titres pourrait me reprendre. Je retrouve cependant avec émotion un inédit de ma compagne, Brigitte Giraud, dédié à Isabelle B. qui se reconnaîtra. Le manuscrit s'intitule Un avant-goût de la nuit. Il a une quinzaine d'années.

 

Les draps respirent

un mot sur un autre mot

le noir obstinément rompu

défile aux doigts qui errent

par-delà la lampe inanimée

*

Ecouter la peau

qui ne craque pas

et ce tintamarre

sous l'arche de la mort

une ombre

un hall vide

des souvenirs nus

partout sur les murs.

*

Un pli sur l'oreiller

blanc sur blanc

comme un mal

Où est le rebord

pour se tenir ?

*

La bouche écorche un mot,

s'épuise, s'ouvre encore

puis n'essaie plus

ne parvient pas

et l'oeil s'agrandit autour du silence

la chambre te contient

dans son drap plissé où reposent tes coudes

Tu ne reconnais

ni ta main

ni la maison sur la photo

ni la femme qui t'appelle

l'effroi seulement ligote ton regard

*

Les néons ont blanchi dans la nuit.

Une femme au fichu rouge

noué sous le menton

s'appuie à l'arbre mort,

au silence du vent,

à l'horreur du vide.

Tout au fond de sa voix

poussent des cornes de brume

où des mouettes ont pleuré. 


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29 janvier 2013 2 29 /01 /janvier /2013 18:09

De grands yeux noirs passent dans une ville morte. Une cloche sonne. Un arbre pend. Des sillages de bateaux donnent à l'eau des frissons lents. Mes mains ne peuvent rien saisir. Ces yeux tout luisants de futur ne sont pas de mon histoire. Ils vont dans une durée impossible à rejoindre. Je reste coi entre nos murs où l'amour luit encore avec le partage des oiseaux.

*

Tuer le temps. Ces quelques mots pour désigner l'ennui, la crainte d'être avec soi dans la torpeur. Tuer le temps par les grandes journées vides écrasées de chaleur, les soirées molles devant le désastre d'un écran. Nous n'avons jamais eu ce désir meurtrier. Nous apprivoisons depuis toujours les silences au coeur de la durée. Avec le poème.

*

Les grands yeux noirs encore, dans les longues heures des partances. Quand l'air figé abolit tout espace et toute durée. Je les revois sous le poème à venir. Ils ne guident pas ma main entre les mots. Ils sont d'une contrée sans abordage. Je les regarde s'évanouir comme s'évanouit le visage de la violoncelliste. Je te retrouve dans la marche, abreuvé de nos pas qui vont jusqu'à nos rires, jusqu'à nos larmes.

*

Pourquoi tant de solitude, parfois, dans les pas d'un homme qui marche ? Le silence n'en est pas l'émoi. L'errance ne parle pas aux maisons penchées, aux jardins illisibles. C'est l'absence de durée où le corps disparaît, qui nous étreint.

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22 janvier 2013 2 22 /01 /janvier /2013 12:42

Certains livres sont si petits qu'ils vont se nicher dans des anfractuosités insoupçonnables. S'attaquer au corps d'une bibliothèque permet parfois de les y retrouver, pour peu que s'ajoute à la patience une obstination de chaque instant. C'est alors un plaisir de s'abandonner au feuilletage avant de relire.

 

Lettre avec un fragment de bleu de Françoise Hàn fait partie de ces livres minuscules. " Achevé d'imprimer à Cannes et Clairon dans le gard cévenol sur les presses artisanales de Jean-Claude Bernard et Jacques Brémond, à l'enseigne du Livre à main, à un millier d'exemplaires sur des pauvres papiers de fruits à la Pentecôte 1996 ", il mesure cinq centimètres sur douze ou treize.

 

" Des pauvres papiers de fruits " ! Trouvera-t-on, un jour, une aussi délicieuse expression dans un ouvrage publié numériquement... ?

 

Mais revenons à Françoise Hàn que j'ai eu le plaisir d'entendre à Bordeaux il y a une quinzaine d'années lors du Printemps des poètes. Une voix douce et frêle en bordure du visible, dans un temps impossible à nommer. Une présence que le doute permettait de toucher.

 

Elle écrit :

" Tant de ruines et nous n'avions pas fini de naître."

" Prendre la bêche, ensevelir le cadavre désarticulé de l'aurore. Je regarde vers l'horizon, quoi mettre à la place. "

" Avec quoi se pétrir une autre face, où s'accrocher cette bouche qui crie encore ? Le cri fait le tour de l'univers, revient enfoncer dans la gorge un tampon d'orties sèches. "

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21 janvier 2013 1 21 /01 /janvier /2013 11:29

Jouissant de beaucoup de temps libre depuis mon infarctus, j'essaie pour la énième fois de ranger nos bibliothèques. Je sais que je n'y parviendrai pas. J'ai déjà écrit que les bibliothèques sont plus fortes que nous. Mais c'est l'occasion de retrouver des livres et de créer ici une nouvelle catégorie. 


Jean-Bertrand Pontalis vient de mourir et Un homme disparaît passe par mes mains. Sur la première de couverture de cette édition de poche, un Giacometti, Homme qui marche 1. J'aime le lien de la marche et de la disparition. Quand on vide la fatigue et que toute pensée se délite.


J'ai acheté ce petit livre qu'il me faudrait relire le 28 décembre 1998 avant d'aller dîner chez mon ami de bientôt quarante ans. Page 75, j'ai relevé cette phrase : " Faut-il plusieurs vies pour qu'il y en ait une qui soit pleine ? "

 

Je retourne à ladite page et je m'étonne de n'avoir pas noté les phrases précédentes : " Tandis qu'il parle, Julien se demande ce que c'est qu'une vie. Peut-être est-ce seulement quand on la raconte qu'elle prend un sens, acquiert son unité ? "

 

De la nécessité du récit pour donner du sens, oui, mais aussi pour favoriser l'appropriation puis le partage. Un thème cher aux psychanalystes et que l'on retrouve aussi sous la plume de certains plumitifs, nommé alors story telling...

 

Restons-en, résolument, farouchement, à la fragile sensibilité de Pontalis, cet éveilleur parmi les éveilleurs.


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19 janvier 2013 6 19 /01 /janvier /2013 12:18

Cinquante ans après, tu parles encore de la mort de ton chien dans la neige. Qu'avais-tu donc fait de mal pour mériter ce malheur ? Tu te souviens des traces de sang que tu avais suivies jusqu'à lui. Un chemin que tu refais sans cesse, goutte à goutte, quand ton coeur bat de travers.

*

La ville depuis dix ans est un remuement de terre et de trous. Comme un cri ouvert qui pourrait nous figer dans sa glaise. Avec tout ce qu'il y a de vieux restes sans mémoire. Des os et des tessons, des fragments d'étoffes ou de grès. Nous ignorons dans quelle langue ils se trouvent, qui nous rapprocherait de leur durée. Un peu de mélancolie fait battre nos paupières. Nous creusons notre corps comme on creuse la ville. Et rien ne le remplira jamais, nos larmes sont trop sèches, nos silences trop vides.

*

Tu me demandes parfois comment c'était les courtilières. Tu fermes les yeux pour que ma mémoire revienne. Les mots que je vais dire te font déjà frissonner. Avec leurs mâchoires.

*

Comment aurions-nous pu grandir puisque nous ne sommes pas encore nés ?

*

Un pont désormais embrasse les deux rives du fleuve, là où il n'y avait qu'un brouillon de paysage. Nous irons appuyer ce qui nous reste de mémoire au nouveau parapet. Nous inventerons comme nous l'avons toujours fait des cris d'oiseaux dans la lumière basse du jour.

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